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Graveur, affichiste, décorateur et inventeur de lettres typographiques, est né en 1845 à Lausanne et après de nombreuses années de professorat dans diverses écoles d’art décoratif à Paris , il meurt à Sceaux en 1917 ; il est l’unique producteur d’une Méthode en deux volumes de composition ornementale dans les années 1900 : deux volumes exceptionnels où toutes les conditions de possibilités de l’ornementation sont explorées ; à la fin de son second volume il dit lui-même : » Ces règles sont non seulement assez souples pour n’arrêter aucun artiste dans les élans de son imagination mais nous affirmons de la façon la plus positive qu’elles élargiront sa fantaisie en lui ouvrant des horizons nouveaux. »
En effet, nous savons aujourd’hui que la méthode de composition ornementale a été très importante pour les artistes, les graphistes et les compositeurs du Bauhaus qui ouvre en 1919 à Weimar. La méthode de Grasset a été le livre de base des différents artistes de De Stijl, puisque de toutes façon il n’y en a pas d’autre !
Il faudrait retracer la trajectoire Grasset il vient presque en même temps que toute l’exploration de l’art nouveau dans les années 1880 1900.
Et là on ouvre un débat qui aujourd’hui est sans doute clos ou dépassé : le débat entre les arts décoratifs et les Beaux-Arts. Fin XIX° il y a eu en effet une grande bataille entre ces deux mondes.
Les arts décoratifs s’intéressent à toutes les formes possibles et systématiques de décoration, d’ornementation, et l’on retrouvera ça d’une manière claire dans l’œuvre de Mondrian dès les années 20 et bien entendu chez les constructivistes, chez les suprématistes, chez tous les artistes qui choisiront non pas l’abstraction lyrique ou l’abstraction expressionniste, mais l’abstraction géométrique. Grasset est une source inépuisable des conditions de possibilité de la construction non seulement des tableaux mais il faut envisager que les essais de Grasset, de composition, par exemple comme des Manifestes. Ce premier volume (Il se saisit de la Méthode), avec tout son travail sur le point. Aujourd’hui, si nous regardons ces variations, nous apercevons, qu’elles pourraient être aussi des partitions, des notations, pour des musiciens qui apparaîtraient après John Cage au moment de ce que l’on appelle la musique répétitive, les points répétitifs, sont en effet des possibilités de transcriptions, de notations, possibles pour le son. Maintenant si l’on regarde l’art minimal des années 1970/80, on voit bien là qu’il y a aussi des conditions de possibilités de l’art structural. On pourrait bien voici ici des conditions de possibilités par exemple de Toroni, de Mosset, avec les ronds, avec les quinconces de carrés. Dans le rectangle 16, on voit étonnement les conditions de possibilité quasiment de Mondrian. Il est totalement impossible que les artistes des années 20 n’aient pas vu Grasset. Grasset en ouvrant, en créant cette méthode, montre que l’analyse systématique des formes ne nous enferme pas dans un monde restreint mais bien au contraire va nous permettre une explosion, un foisonnement, un débordement. C’est le contraire de ce que l’on dit d’habitude : « la règle nous restreint », nous réduit, nous contraint, mais ici la contrainte de Grasset, en nous contraignant nous permet d’aller vers ce que l’on nomme depuis les années 60 l’œuvre ouverte.
Dans ce sens là, Grasset n’est pas un artiste dans le sens où on l’emploierait pour Mondrian, Picasso, Braque, Kandinsky, de Malevitch, mais il est bien plus vaste puisqu’il invente une méthode qui va rendre possible un foisonnement étonnant d’artistes. (Il montre quelques planches) Le point, la ligne. En 1913, lorsque Grasset meurt nous aurons le fameux livre de Kandinsky, « Point ligne plan »… et oui Kandinsky reprend dans ses cours du Bauhaus, comme Klee, Mohly-Nagy, plus tard des cours d’Albers. Grasset est bien là, dès 1900/1905. Après le point, la ligne droite, les combinaisons de la ligne et du point, donc toutes les combinaisons possibles, les éléments primitifs, les structures élémentaires, ce que l’on appellera après avec l’art minimal, l’art structural, la peinture élémentaire, tout est dans Grasset. Nous pourrions y voir déjà les conditions de possibilités d’un hollandais Esher qui dès les années 20 commence son travail systématique d’exploration des formes et des combinatoires.
Bien sûr Escher connaît Grasset !
Réseau
Nous pourrions dans le chapitre réseau, montrer un tableau de Mondrian, de 1918 « Composition dans le carreau aux lignes grises ». Mondrian n’a pas donné suite à ce tableau exceptionnel qui est son premier tableau systématique. Et la suite ce sera les années 50,60, 80, avec par exemple Sol Lewitt : la systématisation de l’art structural, la combinatoire complète, où il n’y a plus de plans préformés, il n’y a plus de composition, de centre, il n’y a plus de périphéries, il y a dans toutes les directions possibilité de structuration et n’importe qui peut le réaliser. Nous revenons bien dans ce sens là à Grasset. Par sa Méthode, il rend possible, aux chercheurs, aux étudiants, à l’artiste le développement de sa propre imagination. Non seulement pour l’art mais aussi les arts décoratifs et bien sûr aussi pour les arts appliqués, puisqu’il ouvre la porte aussi bien pour le travail de la ferronnerie, que le travail de la mosaïque, du vitrail. Tout ce qui suppose une structuration préalable. Y compris sans doute pour la typographie puisque Grasset a dessiné son propre caractère qui s’est appelé le Grasset.
Ici « Semis dans les raccords de tentures », conditions de possibilités pour les tapis, pour toute l’ornementation de la maison, les tapis, les tapisseries.
Grasset systématiquement ouvre la porte à l’exploration des variations, de toutes les variations. A partir de là, on peut en inventer d’autres, il rejoint bien entendu le grand art ancien. Il est allé en Egypte, quand on pense à la construction structurale des ornementations de l’Egypte 2000 ans avant Jésus Christ, il est évident que l’art nouveau s’inscrit dans ce retour, dans cette découverte depuis fin XVIII°- début XIX° de ces jeux ornementaux de l’Egypte et Grasset ne pouvait ignorer le travail ornemental et structural et rituel de ce que l’on appelle l’art ornemental rituel islamique du IX°/ X° siècle, à Ispahan. On connaît des travaux qui commencent à être publiés. Grasset s’intéresse aussi à l’art japonais extrêmement sensible à la construction de l’espace habitable. Lorsque l’on voit Grasset, nous ne pensons pas du tout que ce sont des œuvres d’art, ce sont des jeux structuraux, des exercices pour prendre conscience de tout ça. Mais à partir des années 60, et c’est ça qui est passionnant, ces exercices avec Sol Lewitt vont devenir des œuvres. Ils vont changer d’espace, de méthode, devenant « Méthodes, Principes et Définitions » pour de nouvelles œuvres. C’est ce qu’ils appellent d’ailleurs dans les années 60/70 : DO IT YOURSELF : faites vous-même votre œuvre, à partir du principe que vous avez pu définir. Il n’y a plus opposition, bataille entre l’art et l’art ornemental. Et nous dépassons la question du décoratif, car avec l’art il n’y a plus de décoratif, il y a art. Nous ne décorons pas un mur blanc qui est soit disant ennuyeux, nous structurons un mur blanc qui devient une véritable œuvre. Grasset ne pouvait pas en 1912/13 arriver jusqu’à cette prise de conscience, c’est impossible car il n’a pu inclure dans sa Méthode, publiée avant la Naissance du cubisme, avant Picasso. Grasset ne pénètre pas les jeux de variations de Picasso, et de Braque, ni les jeux de Matisse dès 1905. Il aurait été passionnant d’imaginer un dialogue ? Imaginons-le en 1907 ? 1908 ? 1910…entre Gustave Moreau, Matisse, Picasso, peut-être Cézanne en 1906, Braque, Mondrian, et Malevitch et Kandinsky et Klee… tous ces gens là élaborent l’ensemble de leurs œuvres, le fondement même de leurs œuvres. Essayons d’imaginer cela ! D’où l’intérêt de parler et de montrer Grasset. Malheureusement cette fameuse méthode de composition ornementale en deux volumes, est introuvable, elle n’a jamais été rééditée alors que c’est un ouvrage fondamental pour les écoles d’art appliqué, d’art décoratif, et pour les écoles d’art et j’ajouterai aussi de design. Il n’y a pas eu depuis Grasset, un seul ouvrage de cette force, de cette puissance. Là par exemple, avec ces jeux de fond, on se dit mais ce n’est pas vrai, ce sont des tableaux des années 80 ! Un siècle avant! Est-ce que les artistes qui ont travaillé sur ce genre de « formation de formes », comme disait Klee ont-ils vu Grasset ? Grasset lui élabore une technique graphique et géométrique alors que dans les années 80, les peintres eux vont le faire avec la peinture La seule différence fondamentale c’est que Grasset lui ne le fait pas en tant que peintre. Il est graphiste, on peut dire designer, il dessine. C’est comme s’il dessinait les fondements ou les conditions de possibilités d’une peinture future dont il n’a pas conscience car lui ne travaille pas sur la question de la peinture mais sur ce qui est préalable à la peinture.
Nous pourrions conclure en lisant un petit extrait de l’introduction du volume deux :
« « Il était nécessaire de commencer cette méthode au moyen d’éléments géométriques seuls, de façon à en poser les principes avec netteté et simplicité. En effet les éléments géométriques sont définis, connus et absolus, aucune ambigüité, ne peut surgir à leur sujet, c’est pour cela que le raisonnement fondé sur leur emploi reste clair et établi dans l’esprit d’habitude des formules simples et rapides. Mais à la suite de ces éléments géométriques, nous avons placé ces autres éléments qu’on peut dire d’un ordre différent, en sens qu’ils ne dépendent pas de constructions positives et fixes. »
En effet, nous voyons après tout une étude géométrique, mathématique des courbes simples qui deviendront plus tard dans les années 70/80, des éléments fondamentaux d’une peinture structurale, fondée par exemple avec Morellet sur des formules mathématiques. Cela Grasset ne pouvait pas le prévoir bien entendu. Ces formules mathématiques et ces structurations en Amérique seront développées par un artiste du Bauhaus Albers .
Et c’est très curieux dans le livre d’André Breton des années 60 « Le surréalisme et la peinture » publié chez Gallimard nous tombons avec étonnement sur un objet mathématique, c’est le seul exemple donc nous devons réviser notre vision du surréalisme. S’il y a un objet mathématique : Intersection de surfaces du genre de la double vis de Saint Gilles, c’est que là Breton a saison qu’il y avait en effet une mathématique ouverte, de l’imagination, de l’imaginaire, un imaginaire mathématique. Et là en effet la fausse opposition entre le rationnel et l’imaginaire est brisée nous rentrons dans ce qu’on appelle d’ailleurs dès les années 20, « l’imaginaire mathématique »
Les mathématiciens inventent des fictions mathématiques imaginaires. Grasset reste dans la géométrie cartésienne, euclidienne, il n’a pas conscience de ce qui se passe fin XIX° siècle.
Est inventé entre fin XVIII et fin XIX° quelque chose que ne peut pas accepter fin XVII Descartes, les nombres imaginaires. Là, la contradiction est dépassée car nous entrons véritablement dans la fiction, la construction de fictions. L’art ce sont bien des constructions de fictions qui rejoignent bien les objets mathématiques. Le réel est sans doute cela : une construction de fictions.