Michel Giroud / Réalisation Eric Bernaud
Danse
Jarry c’est UBU on a découvert tous Jarry par Ubu et nous ne devons pas réduire Jarry à Ubu! Puis un jour nous découvrons le noyau théorique, théologique d’Ubu : PATAPHYSICA : la pataphysique invente entre 1894 et 1898 dans le texte qu’il produit au Mercure de France autour du Docteur Faustroll le livre majeur, le plus extrême de Jarry.
UBU PATAPHYSIQUE il achève sa vie très tôt à 33 ans à Paris en 1907 laissant inachevée la grande œuvre Pantagruel qui ne sera donnée que par son ami le musicien d’opéra bouffe ,d’opéra comique Claude Terrasse (1867-1923) car Jarry est né dans l’autre siècle en 1873!
En l’espace d’à peine 12 ans de 18 à 33 ans, il élabore une œuvre assez monumentale puisqu’il a eu l’honneur dans les années 70/80 d’entrer dans la Pléiade sous la forme d’une édition critique en 3 volumes puis en 2010 aux éditions de la Différence, la dernière édition sans presque aucune faute du fameux docteur Faustroll qui avait déjà été élaboré par le collège de pataphysique qui avait exigé au moins une vingtaine d’années de recherche !
Jarry c’est à la fois un comique rabelaisien, le guignol, le pantin, la comedia del arte c’est un écrivain symboliste et hermétique cru en même temps très populaire, très drôle avec le fameux Ubu une sorte d’interface bizarroïde extrêmement intelligent, concentré et extrêmement sportif à 18 ans il aurait pu devenir s’il l’avait désiré champion du Tour de France à vélo, être un bon coureur de fond, à pied!
En tant que coyote coureur de vitesse de fond cyclopédiste alpin acharné, je présente Jarry avec la bicyclette : c’était la grande mode des bicyclettes à Paris, instrument qui suppose des accélérations, un braquet , une extrême rapidité de démarrage, Jarry avait cette faculté d’extrême rapidité et d’extrême concentration!
Danse
Jarry qui est né à Honfleur (correction NDLR Laval) en 1874, Jarry le normand qui fait ses études au lycée Henri IV est décrit ainsi par un de ses collègues : « Brillant en grec latin , anglais, il lisait aussi l’allemand. Quand il ouvrait le robinet de sa verve il le semblait suivre la sarabande de ses mots et non pas la dirigeait, ce n’était plus une personne qui parlait mais une machine habitée par quelques démons sa voix saccadée, métallique ou nasillarde ses gestes courts de pantin articulé son masque fixe sa loquacité torrentielle ou incohérente ses trouvailles grotesques ou brillantes ses mots qui s’accrochaient à d’autres par tous leurs angles son synchronisme dirions nous aujourd’hui de cinéma et de phonographe tout cela étonnait, amusait, agaçait aussi et finissait par inquiéter. »
Quel magnifique portrait car ce Jarry là! C’est celui qu’a rencontré André Breton post mortem. Dans ses propres textes, il estime que Jarry est à l’origine de l’écriture automatique et on compare Jarry cette fois non pas à Desnos le médium mais plutôt aux délires plus ou moins dirigés de Dali.
Et dans la clé Duchamp, la clé du champ, Breton abordera la place majeur de Jarry non seulement dans le surréalisme mais dans la République des lettres et dans la République tout court à l’égal de Fourier, à l’égal de Brisset et de Rabelais Voilà en quelques mots une présentation de cet énorme penseur de gags, proche bien sûr mais très différent de son ami Allais et proche d’Eric Satie, tout de réserve, un furioso rentré. Jarry étant un furioso sorti ! Nous retrouvons aussi dans la bande des futurs amis post mortem, bien sûr Marcel Duchamp : a bruit secret, Picabia, l’homme des vacheries et le grand comique Man Ray : il n’y a aucun doute : la bande du chat noir est vraiment à l’origine d’une face farcesque, grotesque et burlesque du versant dada par Paris et New York et sans doute un peu tout de même de la grande sarabande dada Zurich.
De la 8 min Lecture à 10’30 : Lecture de Liste extraite de l’Almanach du père Ubu 1899 : liste un ensemble de noms, auxquels il accole une petite définition avec moulte jeux de mots.
Il se trouve que Jarry réinvente une sorte de poème liste comique burlesque qui déjà apparaît chez son vieux maître François Rabelais, l’inventeur de l’Os à moelle et Jarry avec la pataphysique fonde une nouvelle science qui deviendra en 1948 grâce à la baguette magique de Queneau et de ses amis : le collège de pataphysique : c’est-à-dire la science des exceptions ou la science des singularités. Il n’y a que des exceptions : toute norme est une exception qui non seulement a réussi et qui domine : la théorie pataphysique, des exceptions est exceptionnelle car elle met en place une nouvelle machine : plus de hiérarchies, uniquement une accumulation de particularités, une variété de singularités. Alors il faudrait dire quelques mots sur cette pensée pensée miotique, qui se développe dans toutes les directions, sous les formes d’une logique paradoxale ; ce n’est pas par hasard que Jarry s’intéresse à cette science des singularités sous les formes d’une logique paradoxale car à cette époque apparaît avec Jules Verne : 20000 lieues sous les mers, la science-fiction vers 1890/1900 et sous la forme anglaise avec Wells avec la machine à remonter le temps : la navigation dans la quatrième dimension qui est le temps. Leur ami Gaston de Pawlowski écrit de nombreux articles sur ces questions là dans des petites revues fin IXX°, qui sera proche aussi de Duchamp avec son livre fameux des années 20 : Le voyage dans la quatrième dimension.
De quoi s’agit il ? Jarry dans un texte de Faustroll mais surtout dans une note publiée qu’en 1970 dit d’où vient mathématiquement, scientifiquement, théoriquement cette pataphysique ; il en donne l’origine à deux mathématiciens : l’un allemand Georg Friedrich Bernhard Riemann, (1826-1866) l’inventeur des géométries à n dimensions et l’autre russe : Nikolaï Ivanovitch Lobatchevski (1792-1856), qui poursuit également ces mêmes recherches. L’univers mathématique, astronomique bascule dans ces années là ; on s’aperçoit dans ce contexte qu’il est possible de pousser des parallèles à l’infini : nous sortons de la méthode à 2, 3 dimensions d’Aristote et de Descartes pour ouvrir la porte à la relativité absolue et généralisée que va au début du XX° siècle développer Einstein (1879-1955). où Jarry trouve-t-il ces renseignements ? Dans une revue de vulgarisation scientifique dans laquelle écrit le mathématicien français Henri Poincaré (1854-1912) qui vers 1875, parle et initie le public aux théories de Riemann et Lobatchevski ;
Jarry est-il remonté jusque là ?
Riemann et Lobatchevski sont les successeurs, les disciples qui ont engendré mathématicien astronomes, encyclopédiste allemand de la fin du XVII°siècle qui au début du IXX°invente la théorie de la probabilité ou la théorie du hasard ; il n’y a donc pas de hasard si nous voyons apparaître à ce moment là sous la forme de Jarry, 20 ans après, un carnet dans la littérature, le résultat d’un bouleversement de dans cette même période apparaît Möebius, tout le monde connaît Möebius via la BD notamment mais : August (us) Ferdinand Möbius (1790-1868), un savant mathématicien et physicien allemand qui invente l’anneau de Möebius c’est-à-dire l’interface : la contradiction c’est la véritable logique vivante, dynamique et chaotique. Le oui et le non et le non et le oui dans un espace temps à n dimensions : il n’y a plus de oui, il n’y a plus de non : il y a oui non non oui dedans dehors dehors dedans : c’est absolument vertigineux. Et le docteur Faustroll, ce fameux livre de Jarry est une navigation à travers l’espace temps soit disant passé, soit disant futur dans un présent totalement expansé ; d’où la difficulté de saisir aussi Jarry. Et le comique d’Ubu et le comique de Jarry, c’est bien dépasser notre propre identité pour arriver à produire des séries de singularités. Deux autres maîtres de Jarry qui l’on nourrit : deux allemands qui apparaissent en 1898 en France : l’un Max Stirner (1806-1856) : l’unique et sa propriété, théorie de la singularité et Friedrich Nietzsche (1844-1900) où déjà apparaît Ainsi parlait Zarathustra, 1885 (Also sprach Zarathustra, le Gai savoir (1882) et le Généalogie de la morale (1887) ; évidemment que Nietzsche avait lu Stirner ; si nous prenons cette triangulaire des mathématiques, et là Jarry et les conditions de possibilités des futurs avant-gardes qui s’appelleront dada et pas simplement sous la forme d’un gag extérieur, mais un gag absolu qui va éclater en une myriade de possibilités, de virtualités, ce que nous sommes aujourd’hui ; ce que Werner Karl Heisenberg (1901-1976) vers 1927 appellera le principe d’incertitude ou que Bruno l’ami de Rabelais brûlé au XVI° siècle lui nommait Perpetuum mobile : tout bouge sans arrêt, à flux, à fluxus, flots tendus : c’est cela que l’on saisit dans Jarry, le cycliste absolu qui cycle dans toutes les directions nuit et jour, jour et nuit. Vive Jarry ! Vive Ubu, vive la pataphysique !
Danse
Document sonore en complément :
Emission de Robert ARNAUT intitulée « Alfred Jarry, poète de la pataphysique ». Récit et portrait ponctués par des témoignages, recueillis par Marie MOYNE, de François CARADEC, Jean Christophe AVERTY, Rosy VARTE. Le tout est mixé avec de la musique, des images sonores, des interprétations, des archives INA
Durée : 51 min
A lire :
Jarry, c’est pas que de la merdre
Par Mathieu Lindon
Chronique « Comment ça s’écrit » parue dans le Cahier livres de « Libération », le 7 février 2013
A l’occasion de la publication des Oeuvres complètes, tomes I et II sous la direction d’Henri Béhar
Classiques Garnier, 728 pp. et 760 pp.