MCD #78 : La conjuration des drones
OBJET VOLANT NON IDENTIFIABLE
L’année du drone… Survols concertés des centrales nucléaires françaises. Projets improbables de livraison à domicile. Jouets pour adultes redécouvrant les joies de la radio-commande. Prise de vues contrevenant aux “10 commandements du drone” récemment édictés par la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile). Guerre invisible et assassinats pas toujours ciblés aux confins du Moyen-Orient… 2015 restera marquée par ces “drôles” d’engins qui vrombissent au-dessus de nos têtes. Une menace qui est loin d’être fantôme et contre laquelle il faudra peut-être se résoudre à porter les vêtements anti-détection créés par Adam Harvey pour y échapper.
Le paradoxe du drone… Pour certains talibans, les Américains se déshonorent en ne leur envoyant pas de vrais combattants, en chair et en os. Une critique qui rejoint celles de certains “vétérans” de l’armée américaine qui se sont indignés que les opérateurs qui pilotent confortablement et à très très bonne distance (10000 km) le bien nommé drone Predator puissent être, eux aussi, décorés pour leurs faits d’armes comme s’ils étaient présents physiquement sur le théâtre des opérations… Dieu que la guerre était jolie avant l’arrivée des robots… Cette anecdote est riche en (r)enseignements sur la nature et la réalité de cette nouvelle façon de faire la guerre, de pratiquer une “chasse à l’homme” en toute impunité et avec ubiquité.
L’art du drone… Comment de tels engins de mort peuvent-ils devenir objets d’art? La réponse tient peut-être en une scène du film Interstellar. Une séquence que l’on peut considérer comme un petit apologue audio-visuel. Celle où le drone indien est apprivoisé comme un oiseau, pour le ramener sur terre… et lui donner “un usage socialement responsable”. On pourrait ajouter, un “usage artistiquement compatible”… Et à la suite de Grégoire Chamayou, invoquer Walter Benjamin pour qui la technique, aujourd’hui asservie à des fins mortifères, peut retrouver ses potentialités émancipatrices en renouant avec l’aspiration ludique et esthétique qui l’anime secrètement (p. 116, Théorie du drone, La Fabrique, 2013). Girls drone… Changer d’intention envers les drones en démilitarisant notre regard. Remettre de l’art dans la guerre, de l’humain à l’écran, du désir dans la machine, de l’animal sur la photographie… C’est exactement ce que nous invitent à faire Agnès de Cayeux et Marie Lechner; rédactrices invitées à qui MCD a proposé d’explorer cette thématique. En observant les usages du drone dans une perspective historique, sociologique et artistique, elles nous en proposent une lecture plus ouverte, moins “virile”. Rappelons que l’acronyme des militaires pour désigner les drones à long rayon d’action n’est autre que MALE (i.e. Moyenne Altitude, Longue Endurance)…
Drone d’histoire… Nous reprenons également de la hauteur, de la distance, du champ. Dans ce numéro comme dans les suivants, hors dossier thématique, nous focalisons de nouveau notre regard sur l’actualité de l’art numérique, de la culture digitale et des musiques électroniques. Portraits, comptes-rendus d’événements, analyses transversales, chroniques… Autant de retours d’expérience et de lignes de front qui enrichissent cette nouvelle formule de MCD. Bon (sur)vol…
LAURENT DIOUF
RÉDACTEUR EN CHEF
MCD remercie particulièrement Agnès de Cayeux et Marie Lechner, ainsi que tous les rédacteurs qui ont contribué à ce numéro.